Mincir sans régime, c’est possible ?

Je continue la transcription de quelques épisodes de BCBT Le Podcast et j’aborde aujourd’hui un sujet fondamental qui gagnerait encore à être mieux diffusé, la question de maigrir / mincir sans régime

Mincir sans régime. Eh bien, c’est un peu la base de mon travail et j’ai forcément déjà évoqué ce sujet ici mais ça m’a paru important d’y revenir pour notamment deux raisons.

D’abord, malgré tout le travail du Groupe de Réflexion sur l’Obésité et le Surpoids dont je fais partie, malgré tous les livres, notamment de Jean-Philippe Zermati et de Gérard Apfeldorfer, toutes les interviews, les colloques, mon podcast par exemple, mon livre, mes interventions – très humblement – il y a encore énormément, énormément, de femmes (d’hommes aussi bien sûr) qui croient que la question d’une éventuelle perte de poids est binaire : soit je fais un régime, soit je dois accepter la situation telle qu’elle est. DE femmes qui sont extrêmement malheureuses avec leur corps. Donc, cette troisième voie de mincir autrement, sans régime, a encore vraiment besoin d’être connue, décrite, communiquée. Sachant que l’on n’est absolument pas obligée de vouloir mincir évidemment, quel que soit son poids !

L’idée a été confortée après deux rendez-vous avec de nouvelles patientes. Je les ai largement écoutées, je leur ai fait un retour sur ce que je comprenais de leur comportement alimentaire et comment on pouvait travailler. Il apparaissait clairement qu’elles mangeaient trop par rapport à leurs besoins, pour des raisons différentes. On a évoqué, entre autres, le fait de revenir à l’écoute de ses sensations alimentaires, de ne pas avoir d’interdit, etc. Et puis toutes les deux, en fin de consultation, chacune à leur façon, m’ont demandé « Mais alors, on mincit comme ça ? ». Elles étaient toutes les deux venues me voir en connaissance de cause, ayant compris quel était mon travail, l’une parce qu’elle avait fait trop de régimes, l’autre parce qu’elle ne voulait surtout pas faire de régime. Pourtant, elles avaient quand même une part
de scepticisme, une difficulté à croire en cette démarche. Alors j’ai pris un petit temps pour leur réexpliquer ce qui se passait dans le corps et dans la tête. Et, surtout je leur ai proposé, comme toujours, d’EXPERIMENTER.

Bref, je me suis dit que ça pouvait être utile de refaire un point sur ce sujet et puis aussi de se demander si tout le monde pouvait mincir sans régime.

D’abord je voudrais repréciser ce que j’entends par régime : je mets de côté tous les régimes qu’on doit faire pour une raison de santé impérative et les régimes qu’on décide pour des raisons éthiques, religieuses… Je parle des régimes qui sont une façon de manger dirigée par la tête en vue de contrôler son poids. Petit rappel : les régimes, ça ne marche pas dans 90 à 95 % des cas. Et même, ils font grossir, parce qu’après une période de restriction où on a perdu du poids, la tête en a assez de cette rigueur et on remange comme avant voire plus. Et le corps, lui, il décide de stocker ce surplus, en imaginant si on peut dire, qu’il y aura peut-être une prochaine privation et donc il fait des réserves.

Ainsi, comme je le disais, il y a une autre voie pour mincir, si mincir est important pour soi. Mincir sans se priver, c’est d’abord revenir à une écoute de ses sensations de faim, de rassasiement, écoute qui va devenir petit à petit intuitive comme celle qu’a un enfant (si on ne le force pas à finir son assiette…). Quand on écoute ses sensations alimentaires qui sont guidées par des mécanismes hormonaux, le corps, naturellement, sans qu’on ait besoin de compter quoi que ce soit, réclame la juste quantité pour ramener au poids d’équilibre. On revient donc peu à peu à ce poids si on est au-dessus (ou en-dessous). Cela consiste aussi à ne pas s’interdire d’aliment, manger de tout et se rendre compte qu’assez naturellement, en se faisant confiance, on va avoir de la variété et un certain équilibre sur plusieurs jours. Et puis il s’agit aussi de travailler sur tout ce qui peut perturber cette écoute de soi (émotions difficiles, habitude, manger machinal…).

Tout ce travail peut être plus ou moins long, plus ou moins complexe selon l’histoire de la personne, sa façon d’envisager le changement. J’encourage toujours à persévérer et à aller au bout de ce travail si c’est possible. Alors, question importante, est-ce que tout le monde peut mincir sans régime ? Pas de suspens, je dirai beaucoup de personnes mais pas tout le monde. Je vais prendre cinq exemples qui sont tirés du travail avec mes patientes (j’ai changé les prénoms).

Pour commencer, Marina. Marina, elle a 45 ans environ, elle travaille beaucoup, elle voyage, elle a un mari et au fil des années, depuis qu’elle a commencé à travailler, elle a pris du poids, tranquillement mais sûrement. Ça ne la tracassait par trop jusqu’à ce que ça devienne préoccupant en termes de confort corporel et de facilité pour s’habiller. Elle n’a jamais fait de régime et elle vient me voir sans idée préconçue. Je la fais parler et je constate qu’elle n’écoute absolument pas ses sensations alimentaires : elle mange autant que son mari, elle finit toujours son assiette, elle mange tout ce qu’il y a devant elle au restaurant ou quand elle est en voyage. Elle s’est reconnectée à ses sensations alimentaires assez facilement : elle n’avait jamais vraiment réalisé qu’elle mangeait trop et elle a été étonnée de voir qu’elle pouvait manger beaucoup moins, puis ravie de voir qu’elle perdait du poids sans se priver. Parallèlement, elle a plutôt retrouvé une envie de cuisiner en se faisant plaisir et donc mange plus varié. Marina a minci assez significativement et en a été assez bluffée. Je précise toutefois que je rencontre assez rarement des personnes du profil de Marina, les personnes qui viennent me voir ont souvent un parcours nettement plus compliqué.

Prenons Louise par exemple. Louise a commencé les régimes dès l’adolescence parce que sa famille lui répétait sans cesse qu’elle était trop ronde. Elle a intégré cette croyance alors qu’elle était de silhouette plutôt “normale”. Le premier régime a marché et puis en revenant à ses habitudes elle a repris du poids. Ainsi, elle a enchaîné de nombreux régimes en craquant de plus en plus quand elle arrêtait. Elle arrive de moins en moins à se priver, même si elle continue chaque jour à se dire « demain, je m’y mets ». Le problème est que cela la conduit à se gaver le jour-même par anticipation de s’interdire des aliments le lendemain. Avec Louise, on a travaillé sur deux aspects principalement : là encore, se reconnecter à ses sensations alimentaires, et surtout sortir de ce qu’on appelle la restriction cognitive, le fait de décider de se restreindre, se dire « je fais attention », s’interdire certains aliments ou culpabiliser de les manger, penser que certains aliments font grossir. Il a fallu qu’elle  s’autorise à manger de tout, à ne plus classer les aliments en « bon » ou « mauvais », et se rendre compte qu’on peut manger du fromage et des pâtes sans que ça pose de problèmes. Là encore, le plus important c’est de faire l’expérience de tout ça, non de me croire sur parole. En remangeant de tout, en levant les interdits, il s’est passé plusieurs choses. Le fait que tous les aliments seront encore autorisés demain et les autres jours conduit peu à peu à les banaliser. Ainsi, au bout de quelques semaines, Louise me raconte, vraiment très étonnée, qu’elle a une tablette de chocolat entamée dans son placard depuis plusieurs jours et qu’elle n’y pense même pas, alors que c’était totalement impossible depuis des années. Elle s’est aussi rendu compte que finalement elle n’aime peut-être pas tant que ça tel ou tel biscuit qu’elle idéalisait. Louise a remangé de tout progressivement sans se priver, en s’écoutant. Comme ses craquages étaient fréquents et importants en quantité, finalement elle mange beaucoup moins et peu à peu, elle a minci alors qu’elle avait baissé les bras. Quelle satisfaction pour elle et puis quelle tranquillité aussi de se libérer la tête de toutes ces pensées omniprésentes tournées vers ce qu’il fallait ou non manger.

Manger de tout sans culpabilité

Autre expérience, celle d’Isabelle qui est entrée très tôt dans la spirale des régimes suite aux commentaires d’une prof de danse, elle avait 7 ou 8 ans. Elle avait une silhouette tout à fait normale mais qui n’était pas conforme à la grande finesse qu’on attend en danse classique. Elle a fait des régimes successifs de façon quasiment ininterrompue pendant près de 50 ans ! Elle a une soixantaine d’années et, quand elle vient me voir, elle est assez désespérée. Elle ne mange pas beaucoup, c’est typiquement une personne qui a eu son métabolisme détraqué par les régimes, et elle a pris beaucoup de poids. Elle s’est tellement privée que, quand elle se trouve face à un paquet de chips ou une tablette de chocolat, elle en mange sans pouvoir s’arrêter. Alors donc Isabelle s’est reconnectée à ses besoins, elle a réappris à manger de tout mais en petites quantités, à manger consciemment avec attention pour que ce ne soit pas frustrant de devoir s’arrêter assez vite. Et donc elle s’est libéré la tête de ses obsessions alimentaires.

Par rapport à Louise, elle avait pris beaucoup plus de poids, fait des régimes depuis beaucoup plus longtemps. Alors son corps n’a pas réagi pareil. Je le disais, son métabolisme s’est déréglé et a réduit ses besoins. Isabelle a quand même perdu 8-9 kilos, c’est moins que ce qu’elle aurait espéré. Ça soulage quand même ses articulations, ça lui redonne de la mobilité et puis, bénéfice appréciable, elle a l’esprit beaucoup plus tranquille. Elle n’a pas perdu énormément de poids par rapport à ce qu’elle voulait. En fait on ne comprend pas totalement aujourd’hui le fonctionnement du tissu adipeux, le tissu qui stocke nos réserves sous forme de gras. Quand on grossit beaucoup, on multiplie les cellules graisseuses, il se passe beaucoup de mécanismes complexes au niveau de ces tissus et il semble qu’on ne puisse pas forcément revenir à la situation de départ, que notre poids d’équilibre a changé et augmenté – je vous renvoie si vous le voulez au texte que j’ai fait sur le poids d’équilibre.

Autre expérience, celle d’Édith. Édith a une relation émotionnelle à la nourriture depuis très longtemps. Précisément depuis le divorce de ses parents quand elle avait 7 ans. Elle a cherché du réconfort dans la nourriture parce qu’elle était triste, et aussi parce qu’elle était souvent seule au moment du goûter : elle mangeait beaucoup à ce moment-là. Ça lui a fait prendre du poids au fil des années mais pas trop parce qu’elle était très active, elle bougeait beaucoup, elle faisait du sport. Ça s’est accentué en grandissant et elle a continué à grossir parce qu’elle avait toujours cette relation à la nourriture. Assez classiquement; elle a essayé des régimes mais ça n’a pas marché. Ca n’a fait qu’aggraver ses difficultés, ça a créé beaucoup de culpabilité puisque les aliments-doudou, les aliments qu’elle mangeait pour se réconforter sont devenus dans sa tête des aliments mauvais, des aliments grossissants. Elle est entrée dans ce cercle vicieux d’aller de moins en moins bien quand elle grossit parce qu’elle s’en veut, et donc elle mange pour se consoler. Alors, le régime n’est jamais la solution, mais je dirais peut-être encore moins quand on a une relation émotionnelle à la nourriture.

J’ai une approche toujours personnalisée et pas un protocole rigide : par exemple, dans le cas d’Édith, il ne s’agit pas de commencer par renouer avec les sensations alimentaires. D’abord parce que, quand tout va bien, elle sait quand elle a faim et si elle est attentive elle sait même s’arrêter de manger. Mais tout cela est complètement brouillé par les émotions. Donc on a travaillé sur cet aspect émotionnel, d’abord sur les émotions liées à l’alimentation : arrêter de culpabiliser de manger du chocolat ou des gâteaux pour se réconforter, arrêter de s’en vouloir d’agir ainsi. Et puis il y a eu un travail de reconnaissance et d’accueil des émotions qui la faisaient manger, à des degrés divers : il y avait une part d’habitude, de stress et de besoin de décompresser, de difficulté à accepter de ressentir des émotions désagréables. Édith faisait un travail thérapeutique en parallèle et ce qu’elle constatait en décortiquant les mécanismes qui la faisaient manger a été un matériel précieux pour avancer avec sa thérapeute. À ce sujet j’avais écrit un billet sur le choix entre voir une diététicienne –une diététicienne formée aux comportements alimentaires globaux !– ou un psychologue : ça dépend. Parfois ça se fait en parallèle ou successivement.

Je ne prétends pas du tout être psychologue, je travaille sur la compréhension des émotions : justement, ce qu’on comprend via l’alimentation émotionnelle peut permettre de comprendre aussi ce qui se passe derrière, qui peuvent être des difficultés affectives, relationnelles, de confiance en soi, d’estime de soi, des traumatismes : tout ça peut être à travailler dans un autre cadre. En apprenant à accueillir plus facilement ses émotions, en trouvant aussi d’autres moyens de se faire du bien et de se détendre, en déculpabilisant, Édith a constaté que ses besoins de réconfort devenaient plus occasionnels. Et cela ne la faisait plus rentrer dans un engrenage de craquage. Ainsi, elle a tranquillement retrouvé une silhouette qui lui convenait, et beaucoup plus de légèreté mentale aussi.

Dernier exemple, Chloé. Chloé est une jeune femme de 25-26 ans qui a une silhouette mince. Elle vient me voir parce qu’elle veut perdre 5-6 kilos pour atteindre le poids qui lui parait idéal. Je ne juge jamais la demande des personnes qui viennent me voir : parfois, des patientes me racontent qu’on peut minimiser leurs problèmes, leur dire qu’elles n’étaient pas en surpoids et donc on ne veut pas s’occuper d’elles. Ce n’est pas du tout mon approche : je ne minimise pas la souffrance, j’essaye de comprendre, j’écoute et je travaille sur la motivation profonde qu’il peut y avoir derrière l’envie de mincir ou derrière les difficultés qu’on a dans son rapport à son corps.

Comme Chloé était dans la volonté de se restreindre pour perdre ces quelques kilos, elle avait des craquages en réaction. En traitant cela, en la libérant de cette logique de restriction, elle a perdu 2-3 kilos. Ce n’était pas ce qu’elle visait au départ. En fait, elle est revenue à son poids d’équilibre, le poids qu’elle peut maintenir naturellement sans faire d’efforts. En revanche, descendre sous ce poids d’équilibre ne peut
se faire que par la restriction, la privation, et ça, ça ne tient pas dans la durée. Quand on atteint son poids d’équilibre et qu’il est différent du poids rêvé, on peut mener un travail d’acceptation, de regard plus bienveillant sur son corps. Cela, finalement, a été assez facile chez Chloé  : elle m’a dit qu’elle se sentait tellement libérée dans sa tête que finalement -ce qu’elle n’aurait pas du tout imaginé au départ-, faire 2-3 kilos de plus ou de moins n’était pas si important que ça et elle pouvait vivre avec.

 

Se détacher de l’obsession de la minceur

Voilà, je vous ai donné cinq exemples, peut-être l’un d’entre eux résonne avec votre propre histoire : on peut perdre du poids sans régime dans différentes situations, avec différentes histoires alimentaires. Mais la limite, c’est que l’on ne peut pas descendre durablement sous son poids d’équilibre. On peut le faire mais ça va nécessiter de la restriction, et il est très probable qu’on reprendra ce poids. Il est important d’être réaliste par rapport à sa morphologie et à l’idée d’un poids idéal qui ne serait pas du tout conforme à son corps.

Par ailleurs, quand on a fait beaucoup de régimes yo-yo, qu’on a pris beaucoup de poids par ce mécanisme, peut-être qu’on pourra perdre un peu de poids, peut-être qu’on en perdra beaucoup, mais il se peut que le poids d’équilibre ait changé, que la perte de poids soit modérée et on ne peut pas vraiment le savoir à l’avance. Dans tous les cas, on peut faire cependant faire la paix avec la nourriture et donc se libérer de la culpabilité, libérer toute la place que ça occupe dans la tête.

J’espère que cet article clarifie pour vous certains points. C’était la reprise du 43e épisode de BCBT le podcast, à écouter ici.

2 réponses
  1. Simon
    Simon dit :

    Bonjour
    Un plaisir à lire ! C’est la 1ere fois que je lis un texte sur la perte de poids qui décrit très bien le lien émotion/nourriture !

    Répondre

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