Ariane Grumbach l'art de manger

Ecouter les patient(e)s quand on est soignant(e), professionnel(le) de santé. S’écouter en tant que personne, en tant qu’individu singulier.

Je fais toujours confiance à mes patientes quand elles font part d’une sensation, d’une douleur, d’une observation corporelle. Même si, parfois, je ne sais pas expliquer directement ce qui se passe. Il y a ainsi une phrase que je répète très souvent à mes patient(e)s : « il n’y a que vous qui êtes dans votre corps ! ». Pour les inciter à s’écouter et se faire confiance. Je peux donner des informations, des indications, des repères mais cela ne remplace jamais l’écoute de soi. C’est pourquoi j’incite très souvent à faire des expériences.

C’est la lecture (tardive) d’un article du Monde dressant le bilan de l’affaire Levothyrox qui m’a donné l’idée de ce billet. Je ne remets absolument pas en cause l’utilité, la nécessité indispensable dans certains cas, la qualité de nombreux médicaments pour soigner, soulager, rééquilibrer des manques physiologiques, … Toutefois, quand l’affaire du Levothyrox a éclaté, j’ai tout de suite cru ce que racontaient les patients désemparés, malgré les affirmations du laboratoire et d’autres que rien ne pouvait expliquer ces nouveaux symptômes . Bien sût il existe l’effet « nocebo » (l’autre face de l’effet placebo : l’idée qu’attendre des effets secondaires négatifs peut favoriser leur survenue) mais la diversité et l’ampleur des symptômes décrits par des personnes qui, parfois, n’avaient pas été informées du changement, ne collait pas avec cet effet.

Comme le rappelle Martin Winckler sur le blog L’école des soignant.e.s, « ne pas croire le patient, c’est poser d’emblée que le médecin sait mieux que lui ce qu’il ressent, et si c’est vrai ou non. Or, la relation de soin est en principe fondée sur la confiance réciproque. » « Penser « Ce patient me raconte peut être des histoires » ou « C’est dans sa tête » est, tout simplement, incompatible avec le soin ».

D’autant plus que les personnes prenant du Levothyrox car elles sont atteintes de problèmes à la thyroïde, se sont souvent habituées à avoir une écoute fine de leur ressenti en termes d’énergie, fatigue, fébrilité… pour évaluer la nécessité de revoir parfois l’équilibre de leur traitement. Quand on commence à prendre ce médicament, il y a souvent un temps d’affinage du dosage où la personne apprend à repérer finement si son état est stable ou se détériore.

Il n’y avait donc pas lieu de mettre en doute leur parole mais plutôt d’essayer de comprendre ce qui s’était passé. C’est ce qui a finalement été fait, par des chercheurs indépendants. Qui ont découvert, ce qui semble une évidence finalement, que derrière la moyenne des tests validant une absence de risque, il y avait une multitude de situations individuelles très diverses. Ce qui explique les symptômes pénibles, variés et réels des patient(e)s. Chacun(e) a une réaction singulière. Il n’y a pas eu de changement de la molécule mais un changement d’excipient (un excipient est un ingrédient ajouté, qui n’a pas d’action en tant que tel, mais est censé apporter quelque chose en termes de texture, goût…) : le lactose a été remplacé par du mannitol et de l’acide citrique. L’hypothèse serait que ces substances auraient peut-être eu des effets différents en termes d’absorption.

Je lis par ailleurs que ce sont très majoritairement les femmes qui sont utilisatrices du Levothyrox. Oserais-je ajouter que cela a pu jouer dans le manque de crédibilité que certains professionnels de santé ont donné aux récits ? En effet, certains médecins (pas tous évidemment !!!) ont tendance à minorer les douleurs exprimées par des femmes, à ne pas leur apporter l’attention nécessaire, à vouloir les convaincre que c’est normal ou que « c’est dans la tête ». Avec pour conséquence des maladies qui ne sont pas recherchées, des pathologies qui ne sont pas traitées, des douleurs qui ne sont pas soulagées, des maladies qui sont diagnostiquées avec retard, parfois des années de retard. Il suffit de constater par exemple l’incroyable délai nécessaire très souvent pour diagnostiquer une endométriose… Ou le manque de crédit apporté à la description des symptômes du syndrôme prémenstruel.

Bref, écoutons encore Martin Winckler dans le même article : « Les patients qui souffrent de douleurs inexpliquées doivent, eux aussi, être si possible soulagés et toujours écoutés. Car écouter, c’est signifier à l’autre « Je suis là, je suis avec vous, je vous crois. » Ce n’est pas une « posture », c’est la seule attitude moralement acceptable pour un professionnel de santé, celle qui permet d’apporter au moins réconfort et consolation. »

Si vous accompagnez des patient(e)s, faites-leur confiance ! Aidez-les si besoin à s’observer, à préciser leur ressenti. Si vous êtes patient(e), faites-vous confiance et persévérez, quel que soit votre problème, pour le faire comprendre, analyser, traiter, soigner.

 

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