Manger à l’Oeil, expo distrayante et instructive, à Marseille

Jeudi soir dernier, j’ai découvert l’exposition Manger à l’Oeil au Mucem de Marseille. J’avais été conviée par l’équipe d’Alimentation Générale, co-commissaire de l’exposition. Dans le cadre du vernissage, j’ai pu découvrir le parcours avec une affluence limitée.

Pour être claire, il ne s’agit pas d’une exposition sur l’évolution de la nourriture, ni même sur le contenu du repas des Français même si celui-ci, classé au Patrimoine de L’Unesco, est bien le point de départ de la réflexion. Il s’agit de traverser deux siècles de repas français à travers le prisme de la photographie, qui a évolué en parallèle. Ce qui permet de mesurer ce qui change et ce qui dure.

Beaucoup des photos se partagent en deux thématiques : d’une part, des photos d’ordre festif et collectif. En effet, jusqu’à récemment et l’essor d’internet, on ne prenait pas vraiment en photo ses repas du quotidien… Les photos sont donc plutôt des photos de rassemblement festif, repas de famille, repas de vacances, … (sans compter que pendant une longue période, seuls les plus aisés avaient un appareil photo). Mais il y a également des scènes plus quotidiennes, au travail ou au sein du foyer, principalement documentées par des photographes professionnels qui ont saisi le quotidien de la population.

Ce qui apparait clairement, c’est le maintien au fil du temps de repas partagés, quels que soient les milieux et les époques (ce qui est largement une caractéristique française vérifiée dans les études sur la durée et le rythme des repas). Même si, les photos les plus récentes montrent la présence fréquente de la télé face à la table, voire des repas sur table basse pour la regarder. D’ailleurs, le palmarès des repas préférés des Français distingue principalement des plats de partage (4 sur les 5 premiers), sur la base d’une synthèse de sondages (le couscous est en tête).

Une autre constante, c’est la présence fréquente, quasi-systématique, de pain et de vin. On est bien en France ! Même si Pierre Mendès-France oeuvra pour le lait aux écoliers à la place du vin dans les années 50 (action largement critiquée aujourd’hui, dans un contexte très différent, où à la fois le lait est très attaqué et le principe de la collation critiqué).

Amusant, les extraits d’émissions culinaires, les politiques à table, le palmarès des plats préférés, … Amusant aussi de voir qu’il y a bien longtemps, on emmenait les écoliers au potager, et qu’on commence aujourd’hui à reprendre cette démarche d’éducation aux aliments à la source.

Instructif d’observer comment les photos de repas, élément si intime de nos vies, montrent l’évolution de la société, que ce soit les fiches Elle de plus en plus éthérées ; les aliments présents à table de plus en plus industriels, de moins en moins cuisinés ; l’évolution du dispositif de repas, intégrant peu à peu un nouvel acteur, la télé ; l’augmentation progressive des congés avec les départs, pique-nique…associés. Ce qui semble assez constant en revanche au fil des époques, c’est la place centrale de la femme, qu’il s’agisse de cuisiner, servir le repas, être disponible pour enfants ou mari,  de devenir la cible de l’électroménager ou de recevoir des conseils sur bien se nourrir.

Interrogative toutefois, la fin de l’exposition, qui ne tend pas tellement vers l’optimisme me semble-t-il : on voit une prise de conscience chez certains artistes (ci-dessous) mais à quoi mènera-t-elle dans le repas quotidien des Français ? Rendez-vous dans 10, 20, 50 ans ?

Ce que souligne l’exposition, c’est finalement peut-être pourquoi le repas gastronomique français a été le premier à être valorisé au titre du Patrimoine immatériel de l’Unesco : c’est qu’il ne s’agit pas simplement de se nourrir, de satisfaire un besoin énergétique, mais de passer un moment ensemble (y compris dans les champs ou à l’usine), de perpétuer des traditions culinaires ou de s’ouvrir à d’autres (cf le couscous), de se retrouver ensemble de façon quotidienne ou pour des événements heureux ou tristes.

Ce qui est plutôt rassurant d’ailleurs, c’est qu’on mange encore, beaucoup, ensemble et, assez souvent, à table (cela nous distingue majoritairement des anglo-saxons). Même si certains voudraient nous faire manger une boisson à base de poudre pour nous faire gagner du temps… : l’exact contraire de tout ce que montre l’exposition… Evidemment, l’angle photo qui fixe le moment, ne vaut pas panorama global : même (voire encore davantage) à l’ère d’Instagram, on ne prend pas ou très peu en photo ses repas tristes, juste réchauffés ou vite bricolés.

Cette soirée fut aussi l’occasion de contempler le coucher du soleil, de profiter d’un buffet plutôt réussi, de papoter dans la douceur du soir et de rencontrer enfin (trop brièvement) l’auteure gastronome Mayalen Zubillaga, dont j’ai tant aimé l’Art de saucer. Je compte bien d’ailleurs essayer sa recette de pan bagnat sans tarder, pour rester dans une ambiance sudiste !

Ariane Grumbach l'art de manger

Manger à l’oeil, MUCEM, Marseille, jusqu’au 30 septembre 2018, tous les jours sauf le mardi.

Pour info, la présentation de l’expo par Alimentation Générale.

2 réponses
  1. Véronique Julienne
    Véronique Julienne dit :

    Merci Ariane pour ce passionnant résumé de ta visite au Mucem, un lieu que j’apprécie beaucoup. Étant souvent proche de Marseille, je ne sais jamais trop où aller au restau : as-tu par hasard des adresses à y recommander stp ? Passe un très bel été, Véronique

    Répondre

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